"En 2012, je me lance par curiosité dans un Diplôme Universitaire d’hypnose en anesthésie, sans trop savoir ni où, ni comment, ni quand j’allais pouvoir utiliser cette technique. Au même moment, se développe le service des grands brûlés dans l’hôpital où j’exerce. Beaucoup de pansements s’y font avec une sédation que les IADE prennent en charge. Ce fut pour moi l’occasion d’appliquer les techniques que je découvrais. L’hypnose fut bien accueillie par l’ensemble de l’équipe et devient rapidement un outil parmi d’autres. Elle permet de diminuer les quantités de produits anesthésiques utilisés et elle offre un vécu différent du soin pour les patients. C’est également une ambiance différente dont bénéficie les soignants.
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Le confort du praticien est important pour entrer dans une légère transe qui favorisera la créativité. Tout est prêt, anticipé, à portée de main pour se libérer des contraintes techniques. Une fois le cadre installé, je sors dans le sas qui sépare le service de la chambre du patient, pour revêtir la sur-blouse, le masque et le chapeau qui sont obligatoires à l’ouverture du pansement.
L’induction hypnotique se fait quelques instants avant le début du soin. Puis, l’essentiel du travail consiste à accompagner le patient dans des actions qui seront congruentes avec les stimulations du pansement. Nous modifions ainsi le contexte de ces stimulations et de fait la dimension psycho-affective de la douleur. Le soin et toutes les interventions de l’environnement doivent être intégrés. Les bruits des alarmes, des paquets de compresses qui s’ouvrent, la sensation du masque sur le visage et son odeur, les conversations diverses ou tout autre stimulation.
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Voici des illustrations pratiques.
Je suis intervenu à plusieurs reprises après de Mme B pour des pansements. Elle est atteinte d’une épidermolyse bulleuse. (...) Lors de notre première séance, nous partons pour une promenade en forêt. Le bruit du vent dans les arbres est le bruissement des sur-blouses de mes collègues; les sons des pas qui bruissent sur les brindilles et les feuilles : les sachets de compresses qui s’ouvrent. Au loin, le tintement des cloches d’une église ou de vaches qui paissent tranquillement : le son des différentes alarmes. La ballade continue. Elle est ponctuée de moments agréables en absence de stimulation durant lesquels le rythme se fait plus lent. La ballade s’oriente alors vers la découverte d’une clairière paisible où la luminosité est particulièrement douce, le temps d’une pause, d’un temps en suspens. Calme. Tranquille. Un rythme variable qui se joue du temps et se fait plus rapide quand des buissons, des arbustes denses avec de petites branches viennent effleurer les jambes : l’ablation des bandes et différentes couches de compresses au niveau des membres inférieurs.
(...) Et quand le corps ressent ces sensations, l’esprit peut retrouver des souvenirs agréables de bord de mer. Mes collègues infirmiers et aides-soignants nettoient, lavent ce corps où chaque bulle laisse une plaie à vif. Quelques agrafes qui tenaient les greffes de peau sont enlevées, est-ce un poisson curieux qui vient frôler ici ou là, il parait que dans certaines eaux chaudes et confortables, aux douces couleurs agréables il y a des poissons multicolores de toutes les couleurs. Avec des couleurs calmes, des couleurs tranquilles, des couleurs douces, des couleurs pleines de vie.
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Il arrive que l’hypnose vienne toute seule. En installant M. Y qui doit être opéré suite à des brûlures par métal en fusion, tout est allé très vite. Quand il arrive au bloc opératoire, je vais vers lui et me présente simplement comme l’Infirmier Anesthésiste responsable de son confort. Je procède aux différentes vérifications d’identités, d’allergies… Puis je l’oriente rapidement sur ce qu’il aime faire. Avec mes collègues, j’installe le monitorage de surveillance, un tas de fils dans tous les sens. En même temps, j’apprends que M. Y aime faire du vélo en bordure de forêt.
Je me saisis de cette information et la développe en le questionnant sur le lieu de ses ballades, à quel moment de la journée est-ce le plus agréable, s’il a une tenue particulière, de quelle couleur? Quelle sera sa prochaine sortie? Pendant ce temps, mes collègues se préparent pour poser la perfusion. (...) Je l’accompagne dans l’accueil des bruits environnants : « est-ce que vous entendez » les alarmes du monitorage, l’ouverture des différents paquets de champs opératoires, le froissement des sur-blouses, les différentes voix? Tout ce brouhaha environnant ne nous dérange pas.
Puis rapidement, je passe aux sensations kinesthésiques et j’installe une catalepsie avec des tapotements légers sur le dos de la main. Pendant ce temps, mes collègues se sont installés pour mettre en place la perfusion. Un regard échangé avec l’interne, un soupçon de confusion, de stimulation du côté opposé et la perfusion est installée.
La main droite en catalepsie, M. Y fixe toujours le plafond, le médecin anesthésiste-réanimateur fait discrètement signe aux personnes présentes de faire moins de bruits. Les yeux ouverts, je suggère à M. Y de les fermer, mais il semble ne pas vouloir. Il est partant pour un petit exercice. (...) Nous partons en balade à vélo, avec cette odeur particulière qu’a un vélo. Le caoutchouc des pneus, le cambouis de la chaine du vélo. Le cadre souvent en métal froid, alors que le guidon est recouvert de cette matière particulière avec une température différente, une texture différente, plus confortable. C’est agréable de poser les mains sur le guidon confortable du vélo, n’est-ce pas?
Faire du vélo, c’est comme glisser sur le bitume, être léger, libre, sensation presque enfantine. Et, partir en ballade, au son des roues qui semblent caresser la route, la musique du vent frais qui effleure le visage, le bruit de la chaine qui change de pignons, mécanique bien huilée, mécanique fluide. (...) Un silence s’est progressivement installé autour de nous. Un collègue bien intentionné à tamisé la lumière. Nous sommes sept ou huit dans le bloc avec M. Y les yeux fixés au plafond et ma voix de plus en plus lente. La catalepsie est toujours en place, une collègue installe le masque faciale délicatement pour débuter la pré-oxygénation. Je continue d’accompagner M. Y avec un ton de plus en plus bas, un rythme plus lent calé sur sa respiration. Je suis moi-même un peu sur le vélo. Je garde un œil sur les injections des produits d’anesthésie. Je l’accompagne jusqu'à la perte de conscience complète installée par les produits d’anesthésie. Quelques fractions de secondes pour revenir personnellement ici et maintenant, c’est le temps des gestes techniques et le retour d’un autre rythme.
La prise en charge des patients brûlés ne permet pas toujours l’utilisation de l’hypnose. C’est le cas des « grands brûlés », qui bénéficient parfois d’une sédation et de soins plus techniques, ou celui des patients souffrants de syndrome confusionnel.
Pour les soins avec sédation et hypnose, la difficulté est de doser la part d’hypnose et la part d’anesthésie, d’assurer un confort maximum avec les justes quantités d’anesthésie nécessaires. La fenêtre thérapeutique est mince. Mais, pour qui aime les métaphores, la fenêtre vaut le coup. Faut-il avoir de l’imagination? Être inspiré? Ou être simplement un peu en transe pour libérer sa créativité? Et, quand cela ne suffit plus, exploiter tout ce que l’on connait du patient ou son environnement. Le simple dessin d’un poney affiché au mur peut devenir une fenêtre ouverte vers une autre chevauchée."
Florent Hamon